Nous sommes sortis de la salle et les pulsations nous ont suivis, la musique perdant de ses trebles à mesure que nous nous éloignons des kilos de sons. Nos oreilles sont comme emplies d'ouate, bien que le concert n'ai commencé que depuis quelques heures. La ligne de basse typique de la Trance (DA-gadaga-DA-dagada-DA) s'entends encore distinctement dehors, dans le coin fumeur. Le pote en tête de file, perçant la foule de fumeurs, aperçoit quelqu'un de notre groupe sur un carré de béton en surplomb, et entreprend de gravir la pente de terre humide nous séparant de lui. L'ami que nous rejoignons a déjà roulé un pétard, ce qui ne m'empêche pas en m'installant de sortir tout mon matos pour rouler également. Nous sommes 5 assis, puis d'autres amis nous rejoignent, et s'assoient. Nous discutons de la qualité de la MD que nous avons chopé sur le parking (tout à fait acceptable), du concert (tout à fait vénérable) et de tout, et de rien (tout à fait normable). Je décroche de la conversation quelques minutes, me perds dans le vague.
Lorsque je reviens, j'attrape quelques paroles au vol.
"J'ai toujours cru qu'il était l'ami de tout le monde. Vous avez bien vu, dès que je le ramenais quelque part, c'était comme s'il se mettait tout le monde dans la poche. Je pensais qu'il se construisait des amitiés facilement, avec tout le monde. Mais j'ai réalisé qu'en fait, pour tout ces gens, il était mon ami, et pas forcément le leur. Quand on a eu la nouvelle, tout le monde est venu voir comment moi j'allais, alors que je m'attendais à ce qu'eux aillent mal. J'ai dû prendre une semaine de congé et inviter tout le monde au cabanon, toute la semaine. ça a été salvateur pour tout le monde je crois."
Je repense alors, forcément, à cet été lorsque j'ai traversé une bonne partie du pays, en joie, pour aller célébrer la veille de la Fête Nationale avec un groupe d'amis dont la basse fréquence de mes visites n'a jamais altéré l'intensité des sentiments que l'on se partage. En le voyant absent, j'avais demandé quel cas de force majeur l'a forcé à décliner l'invitation. On m'avait répondu qu'il déprimait depuis quelques temps, et que même cette bande de potes, soudés et aimants, avait de plus en plus de mal à le dérider. J'avais eu alors l'envie impulsive de me rendre chez lui pour l'attraper par les épaules et le secouer, en mode "EH BEN ALORS MON GROS? VIENS PRENDRE TA RACE AVEC NOUS!"
Mais je ne l'ai pas fait, me disant que là où des amis les plus proches échouent, je risquais d'empirer la situation.
A ce moment, j'ai fini de rouler le joint et entreprend donc de l'allumer en tirant une énorme barre dessus. Je ravale mes larmes, et mon envie de me jeter sur mon pote en pleurant comme une fillette. A la place, je ne fais qu'établir un contact physique en lui touchant l'épaule et en balaçant quelque phrase vide en espérant qu'il puisse sentir toutes les ondes que le lui envoie.
Je fais tourner le joint, et nous retournons doucement nos coller les oreilles au mur de son qui crache son infatigable refrain, nous pénétrant tous. Nous coupant de tout besoin de parler, nous permettant de nous contenter de se lancer des larges sourires lorsque nos regards se croisent dans la brume. Je me sépare du groupe, avance encore vers le son, et ferme les yeux.
Et je repense alors, forcément, à ce coup de fil que mon ami m'a passé à la fin de l'été, alors que j'étais dans le tram en train d'admirer le premier orage se former, tard pour la saison. Je ne sais plus de quoi nous avons parlé, jusqu'à ce qu'il me lâche l'info, en retard de quelques semaines au vu de la difficulté de la nouvelle.
"Il s'est foutu en l'air.
-...
-Tu te rappelles de lui?
-Bien sûr que je me rappelle de lui."