TheOtherWay

-There's no other way-

Lundi 3 janvier 2011 à 20:47

Vous croyez peut-être l'avoir. Avec vos équations, votre portefeuille, vos entreprises. Vous croyez peut-être le contrôler, avec vos sacrosaintes règles. Et tout les jours, vous goutez votre écrasante victoire, le sourire fugitif jusqu'à l'oreillette bluetooth. Et tout les jours, votre noeud de cravate vous rappelle combien vous avez raison et êtes raisonnables. Vous quadrillez tout ce que vous pouvez, et planifiez le prochain coup la tête froide, avec le sentiment d'avoir raison, d'oeuvrer pour le bien de tous. Vous dessinez, commandez, montez la cage dans laquelle vous êtes enfermés.

Mais j'ai un scoop. Vous avez rien du tout. C'est nous qui l'avons. Entièrement et complètement, depuis toujours. Et peu importe combien de temps il nous appartiendra, car nous savons bien que vous regardez vos montres, comptant les mois et les ans avant de pouvoir récupérer ce que vous croyez être votre dû. Et nous savons que cela arrivera, que l'on devra laisser la main. Mais peut importe, pendant ces quelques années il nous appartient comme pour l'éternité. C'est lorsque vous tomberez, lorsqu' on devra se mettre à votre place, alors seulement il ne sera plus à nous. Et alors pour essayer de le garder plus longtemps nous quadrillerons, et planifierons, nous dessinerons, commanderons... Mais nous saurons bien que nous n'aurons alors plus rien. Il sera à eux.

Mardi 13 juillet 2010 à 11:52

Vivaldi. On a pas idées du nombre de vieux qui ont Vivaldi dans leurs sonnettes. Et ce pauvre mec chopera jamais un centime de droit d'auteur. Voilà ce que je pense quand le vieux m'ouvre la porte.

"Bonjour monsieur, c'est pour la livraison de votre machine à laver"

***

De retour au magasin, le patron me félicite, étonné, parce que le contenu de mon camion est toujours complet, et toutes les livraisons faîtes. Je comprend pas pourquoi il en fait toujours toute une histoire, et je sais pas non plus pourquoi il y a une marge de perte si grosse dans cette entreprise. En même temps c'est pas mon souci, je suis juste là pour un CDD.
A la fin de la journée pourtant, la réponse arrive d'elle-même. Dans les vestiaires, je suis en train de faire mon sac lorsque trois collègues d'à peu près mon âge débarquent et m'entourent, avec l'air de ceux qui ne savent pas trop comment annoncer une nouvelle.

"Ecoute mec, euh... Le patron, tu le connais?
-Pas plus que vous je pense.
-Bon. Il t'as encore dis qu'il ne comprenait pas pourquoi t'es le seul qu'a pas de pertes de matos?
-Ouaip.
-Bon... Il faudrait peut-être que t'en ai quelques unes, sinon c'est nous qui allons paraître suspects, tu captes?
-Je capte que vous me demandez de me servir discrètement en PS3, télés à led, lecteurs blue-ray et home cinéma 5.1, c'est ça?"

Là ils ont l'air soulagés, tout en étant un peu gênés que je présente les choses sous cet aspect.

"Ouais, voilà, en gros...
-C'est loin de me gêner les gars, pas de problème. Mon contrat fini dans quatre mois, j'essaierai de me mettre dans la marge des "pertes acceptables"
-Merci vieux! Tu verra que ça soulage les fins de mois.
-J'veux bien vous croire. A demain."

***

C'est bien gentil, de voler un carton par jour. Mais après avoir changé ma télé, ma console, mes enceintes, j'ai du trouver de la place pour un lave-vaisselle, un ventilo, un grille-pain, un nouveau four, un deuxième micro-onde, puis j'ai commencé à filer du matos à des bons amis en rad. Ce n'est qu'au bout de deux semaines que j'ai commencé à revendre. Toujours à des potes, de la famille, en restant vague sur la provenance du matos. A partir du moment où on montre la garantie, la facture, et qu'on annonce un prix deux fois inférieur à cette facture, les gens ne posent pas trop de questions en fait. Ce qui est marrant, c'est qu'avec ces thunes en plus, j'avais même pas besoin d'en claquer dans l'électro-ménager! Comptez en moyenne une centaine d'euro en plus par jour sur la paye, et vous comprenez maintenant pourquoi mes collègues roulent en audi. Vu la courte durée de mon contrat, je ne pouvais quand même pas aller jusque là, alors j'en mettais une partie en sortie, payant des coups tous les week-end, et une autre partie à la banque.
A ce rythme, les quatre mois passèrent relativement vite. Assez vite pour qu'aucune recherche de job n'ai été faite. Je suis resté au chômage trois jours. Le quatrième,un ancien collège sonna à ma porte. Je lui ai offert une bière, me doutant bien qu'il était pas venu pour évoquer le bon vieux temps de la semaine dernière.

"Bon, tu te doute bien que j'suis pas venu évoquer le bon vieux temps d'la semaine dernière!
-Ouaip.
-En fait, t'es plutôt discret, sympa, et tu nous as bien dépannés en nous balançant pas au patron
-J'avais mon avantage dans cette affaire.
-Ouais je sais, mais c'était pas non plus tout confort de planquer le matos! Alors comme on manque de bras pour un coup qui paye assez pour quatre, j'ai pensé à toi.
-Eh, j'ai pas d'expérience en braquage de banque tu sais!
-Ah t'es con, on en est pas là. C'est une maison sans voisinage à 20-30 kilomètres d'ici. Mille euros pour la vider entièrement et tout entreposer dans un hangar dix kilomètres plus loin sur la même route.
-Mille euros pour quatre?
-Mille euros par bras. Si on fait pas chier le mec qui ouvrira le hangar avec des questions.
-Merde, un mec est près à lâcher huit mille balles pour un déménagement express?
-On peut voir ça comme ça. Alors t'en dis quoi?
-J'ai qu'une question. Quand?"

Il a échappé un sourire carnassier, m'a  donné la date et des instructions, puis on a discuté deux heures comme des bons copains avant qu'il ne décolle, laissant derrière lui quelques cadavres verts.

***

"Non non non allume pas, tiens, prend ça!"
Je tend la main dans le noir et sens une lampe frontale, que j'allume et que je met.
"Bon les mecs, rien dans les poches quand on entre, rien dans les poches quand on sort ok? Si un seul d'entre nous vole la moindre petite merde, c'est les quatre qui paient. Alors on ferme les yeux et on met tout dans le camion ok? Aller recule, on passe par le garage."

Le premier chargement fut sûrement le plus éprouvant. Armoires, canapés, tables, frigo, télés... Et trois autres ont suivis, plus faciles. Au hangar, la porte était ouverte et il n'y avait personne jusqu'au dernier chargement. Le camion n'était qu'à moitié plein, et l'aube pointait. J'ai posé par terre les deux derniers objets qu'il restait (une chaise et une cafetière) au moment où une paire de mains se mit à applaudir. Au lieu du mec en costard cravate auquel je m'attendais, ce fut un type caché derrière son énorme bidoche, en jogging et tee-shirt sale qui nous tendit quatre billets de 500 euros chacun, un sourire vissé sur la face. On s'est tous regardés sans rien dire, et on est parti après un petit signe de tête. On a déposé le camion sans un mot, et sur le parking, entre nos quatre voitures, on avait un peu l'impression qu'on pouvait pas partir comme ça. Alors j'ai dis

"Une petite sieste, quelques courses, quelques coups de téléphone et je vous attends chez moi en fin d'après-midi?
-Pas de problème pour moi
-Pareil
-Ouais."

***

*Bip*...*Bip*...*Bip*...
"372 euros et 42 centimes s'il vous plait...  Merci, voilà 127... Et 28 centimes! Vous refaîtes votre bar où vous prévoyez une soirée d'une semaine?
-Un peu des deux. Si vous savez pas quoi faire ces temps-ci, passez nous aider à écumer ça!
-Pourquoi pas... Mais vous avez pensé aux préservatifs?"

***

Le soleil se couche. Une marée humaine submerge ma maison. Trop de choses à voir, à décrire.

***

Le soleil se lève. Outre moi-même et mes deux ou trois potes avec qui je fais toujours les fins de soirées, il y a cinq personnes que je ne connais pas et qui ont l'air habitués à cet exercice. Sans compter un de mes ex-collègues, celui qui m'a proposé le "déménagement". La plupart des autres fêtards sont soit partis, soit couchés n'importe où, soit, comme la vendeuse et une copine, couchées dans mon lit avec un pote plutôt épuisé.  Moi-même je ne sais pas comment j'ai fait pour ne pas tomber de fatigue sur ce même lit avec eux, mais toute cette situation est tellement irréelle que la dernière chose que j'ai envie de faire c'est dormir.
On est donc une dizaine autour d'une table où la seule surface propre mesure vingt centimètres sur cinq et nous sert à rouler. On parle de tout et de rien pendant que le soleil commence à décrire son demi-cercle quotidien. Pendant que commence le défilé des mecs qui viennent nous dire qu'ils vont se coucher chez eux. On décide si on rend les clefs ou pas en jugeant leur état. La maison se vide. Alors vers quatorze heures, alors qu'on est une petite vingtaine, quinze rangent vite fait, quatre comatent et moi je fais le barbuc.

***

Le soleil se couche. Personnellement, je ne le sais pas, je suis dans ma chambre, toujours avec la vendeuse. Merde, elle a des sacrés arguments quand même. Ce soir je craque, je laisse les autre se démerder jusqu'à demain matin.

***

Le soleil se lève... Le soleil s'est levé... Enfin il est bien debout quoi. 16h30, Je me lève à mon tour et contemple avec un sourire le beau bordel qu'est devenu chez moi. J'arrive dans le salon et tout le monde explose de rire.

"Quoi? J'ai un poil entre les dents?
-Nan mec c'est pas ça... Tiens, prend un café, assieds toi!"

Je m'assois, on me tend un café et un joint. J'aurais préféré de la brioche mais chaque chose en son temps.

"Tu sais quel jour on est?
-Euh... Samedi?
-Nan, Dimanche.
-Et alors?
-Y'a pas un truc spécial le dimanche midi?
-Ben une fois sur deux j'vais manger chez... Oh merde!"

Et les rires reprennent de plus belle.

"Mais arrêtez de déconner bordel! Ils sont passés?
-... Ben... Comme t'es pas venu à midi, ils ont voulu passer pour le café...
-Et vous avez fait quoi?
-Ben on leur a offert le café vieux!
-Vous avez bu le café avec mes parents sans moi?
-C'était plutôt sympa! On a voulu les faire fumer mais ils ont refusé.
-Putain tu déconnes?
-Ouais il déconne... Ils ont pas refusé en fait!"

Fou rire collectif.

***

Une semaine à ce rythme. Et au bout d'une semaine, alors qu'il me restait encore un billet violet, j'ai reçu un coup de fil de mon précédent employeur.

"Euh... Allô?
-Bonjour! Dîtes, je voulais savoir, vous avez retrouvé du travail?
-Malheureusement non, toujours pas
-Alors je voudrais vous proposer un CDD de six mois à mi-temps!
-Oui bien sûr,attendez j'ai un double appel
*clic*
-Allô?
-Mec, mille cinq-cent balles pour transporter un colis de deux kilos, c'est dans tes cordes?
-Ouais ouais ben ouais!"

Quelques minutes après avoir raccroché, j'ai contemplé la quinzaine de personnes encore présente chez moi. Un bon tas de branleurs que je commence un peu à connaître. Je suis monté sur la table et j'ai gueulé:

"Bon, tas de merde, j'ai une bonne et une mauvaise nouvelle! La bonne c'est que je peux encore vous accueillir chez moi jusqu'à la fin de cette semaine, après faudra trouver une autre baraque à retourner et la mienne sera de nouveau libre dans six mois!
-Et la mauvaise?
-On a quatre jours et trois nuits pour finir le stock d'alcool, sinon j'vous laisse pas partir!"

Samedi 20 mars 2010 à 21:50

Il y a certains moments dans la vie où il faut savoir relever la tête. Ecouter les demandes, les avis des gens. Se sentir à la hauteur. Des moments où l'on se prend en main, où l'on est acteur de sa vie.
J'ai donc fini par lancer Guitar Hero en expert sur Dragonforce, Through the fire and flames, la chanson la plus dure. En même temps ce n'est plus une question de choix, lorsque mon public le réclame. Ici, mon public c'est une dizaines de personnes dont je ne connais pas la moitié, assises n'importe comment dans le salon d'un pote. Sachant tout de même qu'il faut encore que j'aille aider  des potes dans la pièce d'à côté à la confection d'une oeuvre de maître dans cet art qu'est le roulage. Sans oublier non plus que je suis le responsable du barbecue, ce qui explique que l'on ait toujours rien graillé alors qu'il est déjà vingt-deux heures. Soirée chargée!
Mais à cet instant toute mon attention est focalisée sur les notes défilant à l'écran. Enfin peut-être pas. Il en reste bien assez pour assimiler la présence d'une fille s'installant sur un accoudoir inoccupé. Elle demande du spectacle? C'est parti!

Quatre bières, un joints de 50 centimètres et un échec cuisant à Guitar Hero plus tard, je fanfaronne en jetant des litres d'essence dans le barbecue. Tout le monde est dehors et le manque de lien entre les personnes annihile les conversations, alors toutes les attentions sont plus ou moins braquées sur le crétin qui dit des conneries très fort, c'est à dire moi.
Je manque de m'immoler en allumant le feu, balance des cacahuètes sur des potes et en jette un dans la piscine. Je me surpasse ce soir. Je vois bien que la plupart des personnes ici n'ont qu'un demi-sourire lorsque je la ramène, mais c'est plus fort que moi. Faire le con est après tout un bon moyen de laisser douter qu'on en est pas un. Et s'afficher devant quelques demoiselles est loin d'être négligeable.
Une fois la barbac carbonisée à point, je m'arrange pour m'assoir à côté de la demoiselle à l'accoudoir. Elle n'a pas l'air de connaitre beaucoup de monde, se fait discrète. Je lance la conversation avec une grande originalité, histoire de savoir ce qu'elle fait dans la vie, comment elle s'appelle. Puis elle me retourne les questions.

"En ce moment, je m'appelle Arnaud.
-En ce moment?
-Oui, d'ici une semaine ce sera sûrement Frederic. Peut-être Louis.
-Tu va me sortir que t'es agent secret c'est  ça?
(Et merde...)
-Pas du tout, j'ai pas cette prétention. Je suis juste arnaqueur amateur.
-Quelles genres d'arnaques?
-Administratives. C'est tellement le bordel là-dedans que quelques virements sont inaperçus."

Mes conneries ont l'air de l'amuser, mais je dois la quitter pour raconter avec un ami la blague des balles de ping-pong multicolores. On tient l'auditoire presque une heure avec ça, la chute étant tellement débile qu'une bonne partie de notre public oublie son manque de lien pour s'allier contre nous. Ils essaient de nous jeter dans la piscine, bataille visiblement perdue d'avance pour nous, alors j'ai fais ce que je fais toujours. Quitte à tomber autant emporter le maximum de personnes avec moi. Je vois l'hôte expliquer vite fait à quelqu'un où se trouvent les serviettes avant de se jeter à l'eau lui aussi, imité par quelques autres personnes. On se fait larguer des cannettes dans la flotte pour continuer comme il se doit notre bain improvisé. Puis quelqu'un à hurlé:
"Et merde, il est minuit bande de cons!"
Ce qui devait arriver arriva, je vais donc encore user d'une éllipse pour vous éviter certaines horreurs...

Une heure plus tard, trois quart des personnes sont vêtues d'une simple serviette, priant pour que leurs vêtements sèchent vite. La demoiselle de tout à l'heure n'en fait malheureusement pas partie. Elle ne joue qu'à moitié au jeu à boire qui nous réunit autour de la table de la salle à manger, n'ayant qu'une goutte de vodka dans son jus d'orange. Mais elle participe tout de même, ce qui peut être intéressant. C'est à mon voisin de jouer, il doit trouver un "J'ai jamais", c'est à dire qu'il doit dévoiler une chose qu'il n'a jamais faite, faisant boire tout ceux qui l'ont fait.
"J'ai jamais... Embrassé une personne du même sexe que moi."
Naturellement, la tablée entière boit puis s'indigne.
"Quoi? Mais qu'est ce que t'as fait de ta vie?
-C'est un concours de circonstance, se défendit mon voisin.
-Dégueulasse ce j'ai jamais, tu devrais pas avoir le droit!
-Ben attends mec, y'a une solution pour pas qu'il puisse le refaire!"
Le mec qui a dit cette dernière phrase, un bon pote à moi, se lève et lie les bras de mon voisin dans son dos, l'empêchant de bouger, puis me fait un clin d'oeil. Le visage de la victime s'allonge d'horreur lorsqu'il comprend, il essai de se débattre mais c'est trop tard...
"Et voilà vieux, t'as eu l'honneur de faire ta première fois avec moi, t'as aimé? lui dis-je en m'essuyant la bouche.
-Donnez moi quelque chose pour rincer, vodka, alcool à bruler, javel, n'importe quoi!"
Je lui tend la Jagermeister en me marrant, puis je joue.
"J'ai déjà... été célibataire ce soir."
Ha, ma voisine de barbecue ne boit pas, ce qui veut dire qu'elle l'est aussi, c'est toujours bon à savoir!
Quelques abandons et un mort plus tard, je me lève pour aller réguler cet apport conséquent de liquide dans mon organisme. En chemin vers les chiottes je jette un oeil pour voir comment ça se passe dans les autres pièces. Au salon se déroule un poker plutôt gentil, et à la cuisine deux mecs se battent avec le four où une pizza surgelée attend sagement d'être cuite. Je les aide à allumer puis entre dans la salle de bain. L'état du déchet dans la baignoire me force à lui prendre le pouls histoire d'avoir bonne conscience. Après tout ça, je finis tout de même par pisser. Un regard sur le tas de fringues m'apprend qu'il y aura beaucoup de sièges de bagnole mouillés demain. Je vais donc emprunter un jean à notre hôte en me faisant discret pour ne pas déranger les responsables du bruit dans la chambre d'amis. En revenant, je vois la demoiselle dans le couloir, en quête d'un peu de tranquillité pour taper un sms. J'attends qu'elle referme son portable pour l'interpeller.
"Hey!
-Oh, je t'avais pas vu!
-Faut savoir être discret dans mon boulot!
-Les arnaques administratives?
-Tu te rappelle de ça? Je suis aussi documentaliste animalier à mi-temps.
-Traite-moi d'animal aussi!
-Comme nous tous, dis-je, fataliste, en rejoignant le bout de mon pouce droit au bout de mon index gauche et vice-versa, afin de créer un écran improvisé par lequel je regarde la fille. Nous observons ici une jeune humaine femelle en captivité au milieux de grands méchants loups... Si nous avons de la chance nous pourrons peut-être la voir jouer un morceau ou deux...
-De quoi tu parle?
-Viens voir!"
Elle me suit, méfiante, deux pièces plus loin, où je découvre un piano du drap qui était posé dessus.
"Qu'est ce qui te fait croire que je sais en jouer?
-J'en sais absolument rien. Mais on va faire un truc: si tu sais tu me joues un morceau, sinon c'est moi qui m'y colle!
-Parce que tu sais en jouer toi?
-Pas du tout, justement t'aura une super occas' de te foutre de moi, c'est du gagnant-gagnant!
-Si je joue tu gagnes quoi toi?
-...
-De toute façon il est nul ton pari! Je sais bien si je sais jouer ou pas moi!
-Ben comme ça tu peux truquer le jeu!
-C'est un peu compliqué ton affaire là...
-T'as raison, je vais juste m'assoir et jouer n'importe jusqu'à ce que ça te fasse tellement mal que tu me pousse pour prendre ma place, dis-je en m'installant
-Alors là c'est plus du tout gagnant-gagnant!
-Bon ok tu veux quoi?
-Que tu me dise ce que tu fais vraiment.
-Dans la vie? Je harcèle les jolies filles ça se voit pas?"

Elle me pousse du siège (non, je n'en profite pas pour respirer son odeur discrètement, pourquoi je ferais ça?) et elle plaque deux accords dissonants.
"Mauvaise réponse. Pourquoi tu te caches? Si je joue je me révèle un peu non? Alors toi aussi!
-Mais j'ai aucun moyen de me révéler moi
-Trouve, me dis-elle calmement après un regard menaçant
-Alors euh... Je ne crois en rien, je me cache derrière Carpe  Diem pour  m'impliquer  nul part, euh... J'affiche un personnage tonitruant pour éviter de me poser des questions sur moi."

Elle me jauge d'un regard amusé, joue quelques notes... Puis me fait sursauter en écrasant une autre flopée de fausses notes.
"On peut le deviner tout de suite ça, Monsieur le martyr!"
Ouh, je n'aime pas, mais alors pas du tout la tournure des évènements. Je la dévisage bouche bée, ça la fait rire. Elle doit me prendre en pitié car elle recommence à jouer. Un morceau que je ne connais pas, peut-être une composition. Elle aurait pu me gifler, m'embrasser, voire les deux, le résultat n'aurait pas été très différent. Je me sens comme... Une allumette. Encore rougeoyante, qu'on jette dans la flotte. Et qui ne trouve à dire qu'un ridicule "pschtt". Comparaison de con, je sais, mais assez réaliste. Le dos appuyé contre le mur, je la regarde. Ses yeux qu'elle ferme parfois, ses mains qui dansent sur une piste bicolore, son visage balayé par ses cheveux. Avec un fascination quasiment obscène, mais impossible de regarder ailleurs. Elle passe par une palette impressionnante de sentiments, qu'elle vit en jouant. Elle rit même, une fois, et l'écho de ce son ne semble jamais pouvoir  s'éteindre. J'ai réalisé que je n'avais aucun pouvoir sur ce qui arrivait ici, sur cette musique comme sur cette fille. J'étais conscient d'être un intrus dans cette situation, tout en étant fier d'en être à l'origine. Et tout ce que j'ai trouvé à dire lorsqu'elle eut fini, fut:
"Putain, j'suis foutu."

Vendredi 19 février 2010 à 0:32

J'étais là, à faire... Rien. Oui, bon, c'est ma principale activité. Les plaques à induction ayant remplacé le gaz, j'oscillais entre le canapé et la cheminée pour allumer mes clopes. Je m'étais depuis longtemps résigné à éteindre la télévision. J'avais pour seule compagnie quelques vinyles, et une bouteille vide depuis trop longtemps. Et rien d'autre. Je gambergeais comme un con dans les méandres brumeux d'une conscience muselée. Depuis combien de temps étais-je là, avec comme seule préoccupation de ne pas laisser crever ce putain de brasier?... En tout cas pas avant d'avoir fini mes blondes. Je n'avais même pas enlevé mon costard "des grandes occasions". Les grandes occasions... Je me suis levé à cette pensée, ai sorti une assiette et des couverts "des grandes occasions", un verre à vin "des grandes occasions", resserré ma cravate "des grandes occasions" en descendant à la cave... Quelques minutes plus tard, je dirigeais doucement l'aiguille de la tête de lecture sur un quarante-cinq tours, et je suis allé m'assoir à la table. Eclairé par un chandelier complet (compliqué à allumer avec un morceau de cagette enflammée), devant un verre dont même le contenu était pour  les "grandes occasions", j'ai utilisé mon couteau des "grandes occasions" pour déposer une fine tranche de foie gras sur un morceau de pain grillé. Foie gras, Hermitage de 1990 (année exceptionnelle pour ce vin) et Franck Sinatra me chantant une ville que je n'aurais jamais visitée... J'ai alors pris ma tête entre mes mains, et suis resté comme ça un autre laps de temps indéfinissable.

"Qu'est ce que tu aurais voulu? A quoi est-ce que tu t'attendais? Et t'aurais fait quoi, hein?"

Malgré toutes ces interrogations, je ne me résolvais pas à sortir la question. Elle restait au fond de ma gorge, comme si le dire était finalement accepter tout ça. Mais n'est-ce pas ce qu'il faut faire au final? Accepter? Se mettre face à la fatalité qui vous crache à la gueule et dire "Oh que votre salive est douce!  Merci de tout cet honneur!" Et merde...
Le verre a fini éparpillé dans l'assiette, l'assiette sur la platine et la platine au feu. Dans une placidité absolue. C'est sur le spectacle pitoyable de tout ce bordel dans l'âtre et moi regardant ma cravate se consumer, à bout de bras, qu'il se passa quelque chose. Ce quelque chose, c'était une sonnerie de téléphone. Douche froide! Ce putain de bruit réveilla une foule de sentiments. Le premier était la surprise d'un retour à la réalité. Un réveil d'une sieste embrumée de songes filandreux. Il y eut bien sûr de la curiosité. Mais en trame de fond régnait la haine. Comment oses-tu sonner? Me rappeler que ce putain de monde tourne toujours aussi bien? C'est toujours aussi calmement et méthodiquement que j'ai saisi le chandelier pour l'abattre sur le téléphone. Au premier coup, il arrêta de sonner. Au deuxième, il était clair qu'il ne sonnerait plus jamais. Au quatrième, les morceaux de plastique et de circuit imprimés éparpillés ne méritaient déjà plus l'appellation de "téléphone". Je ne me suis pas arrêté pour autant. J'ai frappé jusqu'à avoir quelques miettes sur la table, un morceau de métal déformé et des crampes dans la main. Ensuite, ce qui fut autrefois un chandelier alla s'écraser sur un miroir au mur. Quelques morceau de verres pailletèrent l'air puis le carrelage.

Ce fut là. A ce moment, observant dans les fragments de miroir encore accrochés cette gueule que je me traine depuis trop longtemps... Là, seulement là, j'ai bredouillé un "pourquoi" pathétique, la bouche soudain emplie de trop de salive. Pourquoi, merde, pourquoi? Mes poing finirent le travail commencé par le chandelier.
C'est avec ce poing ensanglanté que j'ai commencé à écrire sur le mur. Une phrase plutôt longue, dans ce genre de circonstances.

Il n'y a pas de grandes occasions.


Mardi 16 février 2010 à 3:55

C'est l'histoire d'un petit garçon qui vivait dans un charmant village en bordure de forêt. Les habitants de ce village vivaient en parfaite autarcie depuis l'indépendance à leurs voisins durement gagnée. Tout le monde y était heureux, le respect et la compréhension régnaient en seuls maîtres à tel point que l'écriture de lois ne fut jamais nécessaire.
Une seule chose était prohibée. Aller au-delà du petit ruisseau, au nord-est du village. Cet interdit était peu gênant car les enfants n'allaient jamais aussi loin, ce ruisseau étant situé à une journée de marche du village, après la barrière de ronces, plus loin que le bois-toujours-noir,  au delà de la falaise vertigineuse. Des endroits peu dessinés en faveur de jeux d'enfants. Surtout en prenant compte la présence du monstre. Il était la raison de cet interdit. Un très grand montre, grand comme deux hommes bras levés, large comme ces deux même bras écartés. Couvert de poils noirs, avec des dents trop grandes pour entrer en entier dans sa bouche, petits yeux enfoncés dans leurs orbites supplantés de sourcils saillants et front fuyant.
Mais cette histoire parle d'un petit garçon non? Ce petit bout de héros donc, entendant parler de cet ogre, décida d'aller lui rendre une petite visite de courtoisie. Nulle envie d'impressionner, provoquer ou se moquer de la bête, non. Entouré de gentillesse et de fraternité, il pensa juste que ce pauvre ogre avait besoin de compagnie. Il fit donc un baluchon de son mouchoir et ignora les adultes voulant l'empêcher de se faire manger comme un poulet. Car non content d'être grand et moche, le monstre mangeait aussi les gens.
Voici donc un homme de la taille d'une table basse, baluchon traînant au sol, qui s'enfonce dans la forêt. Après quelques heures de marche, le voilà déjà face à son premier obstacle, la barrière de ronce. Qui n'en est pas un pour son opinel! C'est sans grande difficulté que le petit garçon se fraye un chemin au ras du sol, là où les branches sont encore peu développées. Il rampe sous un épais rideau de feuille le protégeant du soleil. Le protégeant d'ailleurs un peu trop. A chaque mètre parcouru la lumière décroit de façon sensible. A tel point qu'au bout d'un long moment, l'obscurité est telle que l'enfant ne voit plus ce qui l'entoure. Il tire alors une bougie de son baluchon et l'allume. Il constata avec surprise que les ronces étaient maintenant loin derrière lui, et qu'il aurait donc pu se relever depuis une cinquantaine de mètre. Cette nouvelle fut loin de l'énerver, il en rit. Et son rire fut aussitôt avalé par la masse sombre l'enveloppant. Il entendit une nuée de chauve-souris s'envoler quelque part au dessus de lui. Il en fallait plus pour impressionner ce demi-mètre de courage qui reprit la route d'un pas décidé.
Sa détermination paya, car il n'eut pas long à marcher éclairé par sa bougie. Devant lui se dressait déjà le dernier obstacle, la falaise vertigineuse. Des trois, ce fut le plus facile à surmonter. L'érosion avait creusé la roche et généré des éboulements dessinant un escalier presque parfait. Il se lança donc dans l'ascension, écrasé par un soleil de fin d'après midi encore éblouissant. Le garçon avait beau être courageux, il ne prit jamais le risque de regarder derrière lui, connaissant le vertige. Il s'en sorti encore une fois avec brio et fut face... A une autre forêt.
Le soleil quant à lui explosait d'orange et de violet dans le dos de notre aventurier, qui décida donc de poser le camp pour la nuit. Il entoura un petit feu de pierres de la falaise, mangea un morceau de pain et s'endormit jusqu'à l'aube.

Après un rapide petit déjeuner, le petit garçon reprend vite sa route, et ne tarde pas à tomber sur le ruisseau. Après un infime hésitation, il décide de sauter par dessus. Il n'a pas encore atterri de 'autre côté qu'une grosse voix l'interpelle:

"Es-tu fatigué de vivre, avorton?"

L'avorton en question se figea et jeta un regard autour de lui. Il vit une masse poilue, perchée dans un arbre non loin.

"Non monsieur, je suis juste venu parler avec vous."

Le rire suivant cette déclaration fit fuir les animaux dans un rayon impressionnant. Mais le garçon resta immobile sans broncher.

"Qu'est ce qui te fait croire que ta conversation puisse m'intéresser, nabot?
-Parce qu'elle est la seule que vous ayez!
-Minuscule et insolent! Je préfère te manger que d'écouter tes sottises!
-Me manger de vous rassasiera pas même une après-midi, alors que je peux vous divertir beaucoup plus longtemps!
-Et pourquoi devrais-je me divertir, morveux?
-J'ai pensé que vous deviez beaucoup vous ennuyer, tout seul. Si vous voulez quand même me mangez allez-y, je ne pense pas pouvoir offrir une bien grande résistance!"

L'enfant avait l'air si sérieux que le monstre fut mouché. Il descendit de son arbre sans trop savoir quoi rétorquer.

"Je vais vous apprendre des jeux!"

Alors le petit garçon s'approcha de l'ogre et s'assit face à lui. La bête n'eut d'autre choix que de l'imiter et écouta attentivement les instructions. Il se révéla bon partenaire de jeu. Cela du lui donner conscience de sa solitude car lorsque le petit garçon lui proposa de venir au village, il se laissa convaincre.
Ce fut sur une large épaule poilue que l'enfant redescendit la falaise, traversa le bois-toujours-noir et les ronces qui ne s'accrochaient pas au cuir épais de sa monture.
Leur arrivée au village fut bien remarquée. Bien entendu, les gens eurent d'abord peur, puis lorsqu'ils virent leur petit habitant sain et sauf ils décidèrent d'organiser un immense banquet le soir même. Les réserves de nourriture furent sérieusement entamés, mais la générosité des villageois était sans failles. La fête dura longtemps, tout le monde voulant raconter quelques histoires au monstre qui finit vite par rire de toute cette excitation. On fit un lit à l'invité en recouvrant une pleine charrette de paille par une paire de draps solides, puis tout le monde alla se coucher.
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Le lendemain matin, il n'y avait comme toute trace des villageois qu'un os de petit garçon, utilisé comme cure-dents par un monstre s'enfonçant dans la forêt en rotant, les deux mains sur son ventre rebondit.

La morale? Laissez les gens s'approcher. Gagnez leur confiance. Bouffez-les.


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