TheOtherWay

-There's no other way-

Samedi 10 octobre 2009 à 19:50

Je crois que j'ai une caillasse dans ma chaussure. La pente est raide, à chaque pas je manque de m'assommer sur des branches basses. Le soleil tape rude sur ma nuque. Le bruit des voitures fait place à celui des pierres qui roulent dans mon sillage. Partout, du blanc et du vert. Des arbres et des cailloux. Les premiers étant incapables d'absorber la chaleur que les seconds réverbèrent. Autour de moi les discutions s'essoufflent, les mains se crispent sur les bretelles des sacs de rando. Une bouteille de flotte commence à tourner. J'envisage de m'assoir sur le côté en suppliant "laissez moi là je vous ralentirai" quand j'entends au dessus de moi " on y est!". Je prends le reste de mon courage entre mon pouce et mon index, puis je grimpe. Une clairière s'ouvre devant moi, avec en son centre une énorme dalle de pierre naturelle. A la lisière de cette carte postale, de l'ombre s'offre à nous. Coeurs battants, une dizaines de personnes s'affalent par terre. Seul un reste debout. Celui qui nous a amenés à ce lieu, un excité permanent. "Eh, mattez un peu par là!"...  Et il nous met un de ces panoramas dans la tronche... Une colline douce à l'est, ceinturée d'un affleurement de roches saillantes. A l'ouest, au second plan, un mont plus élevé porte un dégradé de vert complet. Plus bas, quelques villages essaient de ne pas troubler la quietude du lieu.

Après avoir récupéré, fait quelques vannes au guide, l'organisation se met en branle. L'habitude et les accords tacite  nous ont rodés, on marche mieux qu'une armée. Une armée de gros branleurs, certes. Je vais cueillir du bois pour le feu. De retour avec quelques sequoïas et autant de baobabs, je chope un djembé et entame un beat de percu. Zeb et Number finissent de monter les tentes. Le premier chope son djembé et le deuxième part en beatbox. Une, puis deux guitares nous rejoignent. D'autres frappent sur divers matériaux. On est bien parti pour tenir le boeuf une bonne demi heure. Je ferme les yeux, chaque fois que je frappe sur la peau ultra-tendue les vibrations passent de mon être à la Terre. En passant par mes pompes manufacturées à Taïwan. So what? C'est bien du coca cola qu'on mélange à un mauvais sky. C'est bien manufactured in China nos ipod sur leurs stations. Personne ici peut se targuer d'être écolo. On allume le brasier, libérant notre quota de CO2 à effet de serre. Le paysage entier se transforme petit à petit sous la lumière changeante du soleil couchant. Les discutions démarrent, d'un côté "qu'est ce que tu deviens?" et de l'autre "mais qu'est ce qu'on va devenir?" Elles finnissent par se rejoindre sur le thème "le passé c'est fini, le futur on verra bien, et mate un peu comment j'm'occupe du présent!" On déballe les jeux de société, y incluant quelques règles impliquants une ingestion d'alcool assez conséquente. Coin et moi commencont à rouler des buzzs. Le principe de jouer avec la société me fait sourire. Certains pensent vraiment jouer avec, d'autres sont persuadés de n'être que des pions contrôlés d'un bout à l'autre. D'un côté les imbéciles prétentieux et de l'autre les imbéciles paranos. J'en fait part à mon voisin, qui me dit que pour lui la société est un parc. On peut aller où on veut, faire tout ce que l'on veut, on ne peut pas sortir du parc. Non par manque de volonté, simplement parce que les limites sont trop éloignées. Invisibles. Pas mal. Be Yourself, voilà le moule, Just do it mais pas trop de bruit. Hasta la vista démerdes-toi! Voilà un avis fondé en quelques minutes! Eh merde, rue de la paix. Cul sec!

L'obscurité fini par limiter les jeux, les foies saturent, les poumons noircissent. Je fais tourner le bedo et attrape une guitare. D'you want to go to the seaside? Du coin de l'oeil, certains s'allongent, d'autres se superposent. I'm not trying to say that everybody wants to go... Une vois se mêle à la mienne. Non, deux. Zeb et Akass'. Trois octaves différents. I fell in love in the seaside... Les superposés vont dans les tentes, les autres s'endorment. A seulement quatre heures du mat'. Sûrement un effet de la salade de pâtes un peu lourde. Encore une fin de soirée en dernier debout, avec Zeb. Par contre c'est une première pour Akass. Faut dire qu'on a pas fait beaucoup de fêtes avec elle. On refait la musique,  on refait le monde, on refait un joint. Malgré l'heure tardive, la discution s'anime. Un pote que je connais par coeur, une fille que l'on connait pas trop. Et qui n'est pas du tout ininterréssante. Pas du tout moche. Avec un soupçon d'ironie qui remet en place. Le genre de fille dont je pourrai tomber éperdument amoureux si elle m'en donnait la permission. Puis j'aperçois une lueur dans l'oeil de Zeb. Concurrence tacite. Pression énorme. Ah l'enfoiré. Un nouveau jeu se met en place. On écoute Akass puis c'est à celui qui trouve le plus  d'arguments pertinents en faveur des paroles de la demoiselle. On se surpasse. Heureusement que j'ai pas forcé sur la boisson.

Lorsque miss se lève pour aller chercher un autre paquet de clopes dans son sac, Zeb me check d'un coup d'oeil. Je le pointe du doigt avec un sourcil interrogateur. Il hausse les épaules. A son tour de me viser avec son index. J'opine vigoureusement, il me fait un clin d'oeil. Ah, les potes. Akass revient. Extrèmement adroit, Zeb lance des sujets sur lesquels il sait que je peux débattre avec passion des heures. Akass m'écoute, renchérit. Heureux de son coup, Zeb s'efface. Je prend conscience de ce qui nous entoure, une feutrine de nuit sort du monde dix potes et un soleil se lève quelque part, éclairant la pyramide de Gizeh et quelques moscovites. Peut-être suis-je un peu  défoncé. Mais comme toujours, le bonheur passe sur le pouce. Déjà elle se lève pour aller se coucher. Elle me jette un sourire équivoque détruit par un "bonne nuit" sans équivoque. Je l'entends entrer dans une tente inoccupée. Bon. Je reste sur place, devant les flammes, et ferme les yeux.

Au moment où je m'endors, une présence me réveille. Wah, elle est si proche. "Tu viendrais même pas me rattraper?" Mon sourire incrédule lui répond pour moi. Je me lève et regarde ma demoiselle. Elle me sourit, puis s'approche doucement de moi. Elle dépose ses lèvres comme un papillon sur les miennes, ne faisant que les effleurer. Puis elle m'attrape par la main et m'amène à la tente. Lorsque je me couche, elle ris en voyant mon sourire que je n'ai toujours pas pu effacer. Ensuite elle se blottit doucement contre moi et pose sa tête sur mon épaule. Je sens furtivement ses lèvres sur ma joue. Bonheur a oublié son chapeau, il revient. Je la serre contre moi, elle sourit.
"Bonne nuit
-Oui, ça risque."

Plus que deux heures de nuit, nous sommes immobiles, sa main sur mon coeur qui ne sait pas quoi faire. Immobiles, je laisse sa présence m'atteindre et profite de ce sentiment. Je sens le sommeil arriver sans le fuir ni le chercher. La respiration de la demoiselle se fait paisible et régulière. Je surfe alors sur une vague de félicité qui m'emporte jusqu'à Morphée. Demain il ferat jour. Jusqu'ici tout va bien.

***

J'ouvre les paupières. Fronce les sourcils. Devant moi, le brasier s'éteind. Un panorama à couper le souffle entoure un soleil levant. Prostré devant le reste du feu, je soupire. Morphée est un connard. Le marchand de sable m'a mi sa pelle dans la gueule. Derrière moi, une fermeture éclaire déchire le silence. Zeb se frotte les yeux et s'assoit à côté de moi. Je lui raconte la nuit et le rêve. Il rit et me refile un peu de compassion avant d'aller pisser dans la forêt dans notre dos. Lorsque je l'entends revenir, je me remet à parler. Ses pas s'arrêtent derrière moi.

"C'est nimp, mate comme j'suis ridicule. "J'aimerai trouver les mots justes, j'aimerais trouver les bons gestes..." Réduit à citer des chansons pour essayer de décrire ce que je ressens. J'me blinde, elle arrive, et plus rien. C'est con, on a échangé deux phrases et regarde dans quel état je suis. Tu dis rien Zeb? (Je me retourne.) La vache, t'es devenue mignonne pendant la nuit!"
Je me lève et regarde ma demoiselle. Elle me sourit, puis s'approche doucement de moi.


Jeudi 27 août 2009 à 17:48

Le temps que son gin lui monte à la tête, il va nous jouer "Hey Jude" au piano. Alors on trinque pour que ça monte plus vite. Les cris résonnent sur la pierre brute du bar. Le bois des tables tremble sous le choc des verres que l'on pose un peu trop fort. Et puis les rires... A ne plus s'arrêter. On rit quand nos verres se fissurent alors qu'on trinque. On rit encore quand on les explose en les reposant. Et puis le piano démarre. Hey jude... On a connu pire comme chanson de soulard. Dans la rue résonne nos "Laaaa.. La La Lalalalaaaa..." pendant un bon tiers d'heure. On s'explose les poumons à massacrer le final vocal. Puis on reprend un verre remplis de rire aux larmes.

"Aller patron, sors ta gratte, accompagne moi !
-Ok mais je fais le solo, j'ai pas envie que tu le massacre, t'es bourré comme ta femme avant que je reparte de chez toi hier soir.
-Ouuuuuuuuuuuhh! Pas de problèmes patron, j't'attends ici ! Apporte moi la mienne pendant qu't'es d'bout!"

Et l'patron m'apporte ma guitare en ramenant la sienne. J'entame l'intro pendant deux mesures et l'patron me rejoint alors tout le monde écoute. Je ne remarque pas la porte qui s'ouvre, et la jeune femme qui rentre. Normal, j'entame le troisième couplet mine de rien. We're just two lost souls swimmin' in a fishbowl... La fille se pose dans un coin, et nous regarde nous défoncer sur du Pink Floyd, un léger air absent imprimé au coin des lèvres et des yeux. Elle pose son étui contre le mur et attend. La chanson se termine en un decreshendo interminable, le patron me laisse continuer mon impro de fin de chanson, les yeux fermés, et va s'occuper de la fille.

"Mademoiselle?
-Un chocolat, s'il vous plaît.
-Ah je suis un peu embêté là... C'est à forfait.
-Forfait chocolat?
-Oui, vous en avez deux pour une chanson. C'est bien à vous l'instrument derrière?
-Oui oui. Mais je n'ai pas envie de vous déranger...
-Puisque c'est moi qui demande!
-Va pour deux chocolats alors..."

Et le patron amène le premier chocolat tandis que je diverge tout seul dans mon impro, encore à fond dedans pendant que les autres reprennent leurs conversations. Au bout d'un moment j'arrête de gratter inutilement, et tatonne la table à la recherche de mon verre, les yeux toujours fermés. Dans le brouillard de mes deux grammes cinq, un son me parvient. Le son d'un archet, se posant sur des cordes. Un violon qui s'accorde. Les conversations baissent d'un ton. Puis la mélodie débute doucement.
D'abord un son discordieux, assimilable à un larsen. Il a le mérite de faire taire les voix, sonnant faux à mes oreilles. Les notes s'assemblent ensuite. Deviennent un son harmonieux, avec ses hauts et ses bas. La première chose à laquelle cela me fait penser, c'est la théorie du chaos. Mais ensuite le ton de la chanson s'assombrit considérablement, en alternance avec des passages d'une joie immense pendant lesquels j'ai envie de sauter partout en riant, tout en gardant les larmes qui commencent à me couler jusque dans la barbe mal rasée.
Lorsque la mélodie devient volontairement terne et répétitive tout en gardant un côté mélancolique certain, je comprend ce qu'elle décrit. Et je me rend compte que mes larmes tombent dans mon verre. Et je commence à vraiment pleurer. Sans pouvoir m'arrêter. Sans comprendre ce qui m'arrive. Je suis désarmé, totalement, face à une jeune femme équipée d'un violon, qui joue la vie.
L'accordage ne représentait absolument pas le chaos, mais la naissance. Les pleurs à la découverte de ce monde qui ne veut que nous bouffer. La musique se fait paisible et douce, à l'approche de sa fin. Les personnes autour de moi sont toutes bouleversé, le temps est arrêté jusque de l'autre côté de la rue. Soudainement la musique s'arrête, au milieu d'une mesure, laissant un goût d'inachevé. La fille ouvre les yeux, prend conscience de l'attention qu'on lui porte et range son violon en rougissant.

"Je crois bien que t'as gagné un forfait illimité.
-J'y penserai si je repasse par là.
-Y'a intérêt !"

Doucement, les clients se remettent à parler. Les badauds reprennent leurs routes. Demoiselle est captivée par la fenêtre, à nouveau. Elle emporte la mousse du chocolat située sur sa lèvre supérieure avec sa lèvre inférieure. Je suis réveillé par une claque dans l'omoplate qui manque de m' exploser le front sur le coin de la table

"Ben alors quoi? Tu rêvasses ou t'es bourré?
-Pas le temps vieux, pas le temps.
-Hein?"

Je sors une roulée de son étui, re-lèche la feuille mal collée et la glisse dans la poche de ma veste. Une de ses copines subit le même sort. Je replonge ensuite négligemment la main dans la même poche et, en m'approchant de sa table, je propose une cigarette à demoiselle. Elle accepte, je ressors théâtralement la main de ma poche en faisant tourner le cylindre de tabac jusque dans sa main. Mademoiselle n'est nullement impressionnée. Je l'accompagne dehors, pas le temps de sortir mon briquet pour allumer sa clope qu'elle a déjà craqué une allumette sur l'ongle de son pouce. Et elle me la tend en plus! Aucun respect pour les traditions. Mais j'avoue que les traditions, je les respecte à peu près autant qu'un slip de mon ex-patron à problèmes intestinaux olfactivement dérangeant. Je regarde demoiselle fumer. Je regarde la fumée de demoiselle, qui caresse doucement sa joue. Je regarde mes certitudes et mes cachettes se faire fumer par Demoiselle, qui mérite dorénavant une majuscule.

"On y va?
-Où?
-Quelle importance?"

On y va, donc. Au revoir, pub. Au revoir, patron. Au revoir ville. Au revoir, vie. A contre-nuit, deux ombres chinoises claquent sur le pavé, un étui sur le dos et l'autre à la main. Dîtes "Bon voyage" !

Samedi 22 août 2009 à 15:54

La fumée du cigare m'irrite les yeux aussi bien que le whisky bas de gamme me brûle l'estomac. Mais je trouve ça classe, assis dans un fauteuil avec un gros cubain et un large verre ambré. Par contre, la page word devant moi est toujours aussi blanche. De temps en temps j'y écris une phrase, la relis puis l'efface avec déception. Pas d'inspiration ce soir. L'obscurité cache mal la crasse de mon appart, le faible son de l'écran ne camoufle en rien les basses du voisin qui m'agacent jusque tard le soir. L'air de cette nuit m'étouffe, j'enfile une chemise froissée, ferme deux boutons, me remplis les poches et sors de chez moi. Les escaliers étroits défilent jusqu'à la porte qui s'efface face à la grande place. Le mistral me force à refermer quelques boutons de plus. Je me balade dans les rues encore agitées à minuit, pas encore demain mais déjà hier. Quatre jeunes se font tourner une bouteille en plastique pleine de whisky-coca. Deux couples amis de longue date discutent à la terrasse d'un café. Je débouche finalement sur le port. Et là, une grosse surprise m'attends. Je reconnais un bateau de plaisance de la même  marque que celui que mon grand-père avait. Celui dont il avait paumé les clefs et m'avait maintes et maintes fois montré comment l'ouvrir et le démarrer sans...
Le bruit du moteur du bateau surfe sur les remous qu'il crée. La ville s'éloigne derrière moi.  Le ciel me tend les bras. Le vent est frais, je rouvre ma chemise pour laisser les pans claquer de part et d'autre de mon ventre. Le temps de récuperer l'équivalent d'une douzaine de container d'air frais, je m'arrête ensuite au milieux des flots calmes. Le vent est tombé. Je laisse glisser mes mains sur le volant puis m'assois. Un carnet atterrit dans ma main. Un regards aux étoiles... Puis j'écris. Des histoires d'amour, de fraternité, de trahison, d'amitié, des histoires réalistes ou fantastiques, des histoires de gamins, des histoires d'horreur. J'écris encore, discernant à peine mon stylo entre son mouvement incessant et l'obscurité envahissante. Arrivé à la dernière page, je fini l'histoire entamée sur la quatrième de couverture. Petit carnet à couverture de carton, soufflé par les étoiles. La tête vide, je fixe l'horizon. Faut-il rendre à César ce qui lui appartient? Laissons-le décider. Une boîte de quatre-cent allumettes sur le pont me sourit. J'en vire trois-cent quatre vingt dix-neuf. J'allume la dernière et l'approche du carnet. Une douce et timide bourrasque fait pencher la flamme... Puis l'éteint. Alors que je me demande que faire avec ce cadeau stellaire, la grande soeur de la bourrasque d'avant m'arrache le carnet des mains et le fait amerrir sans ménagement. J'imagine, désabusé, les pages se désagréger dans l'urinoir à poissons sous mes pieds. Les étoiles s'foutent de ma gueule. J'éclate de rire.

Jeudi 23 juillet 2009 à 22:09

L'herbe me chatouille la nuque. J'entends à côté de moi les roues des skates qui s'agitent frénétiquement, leurs propriétaires se croisant dans un ballet quasi anarchique. Un nuage filiforme s'étire doucement  dans un ciel monochrome, alors je fais comme lui. Ma cravate s'envole et me claque sur le coin de la tronche.
J'aime venir ici après le taf. Cela me redonne un peu foi en l'humanité. Et puis comme j'arrive en retard chez moi, ça permet à ma femme de croire que j'ai une maîtresse, ce qui la fait déculpabiliser de sa propre infidélité.
Je ressors de la poche de ma chemise ta lettre disant que tu va faire un tour. Cela fait sept ans maintenant. Sacré tour. Je me relève, fais craquer mon dos. Je ne leur ai toujours pas demandé pour essayer une de leurs planches. J'en ai souvent eu envie. Peut-être demain. Je remonte dans ma voiture et met le contact sur le jingle "Radio Staaaaaaaaaaaar!" puis je prend la direction "maison". La durée des pubs continue de s'allonger, alors j'insère une compil qui a déjà fait son temps. J'arrive dans mon quartier pavillonnaire bien rangé sur "She's Got The Jack" d'AC/DC. Et là je réalise que je suis devenu pire qu'un stéréotype. Mon gamin de cinq ans joue avec le labrador à côté du scénic diesel de ma femme, qui est en train de donner le biberon à notre fille. Il faudra bientôt écrire "Monsieur X" sur la boîte aux lettres à la place de Duchazel, ça ne choquerait personne. J'ai pas vu venir cette situation. Je vais faire quoi maintenant? Rentrer chez moi dans mon costard après une dure journée de travail dans ma compagnie d'assurances? Me mettre les pieds sous la table peinard?

Je sors mon portable de ma poche, gratte fébrilement la coque et arrache la batterie. Je jette le tout sur le siège passager. Je passe la première. "Jack ! Jack! Jack! Jack!". Et je roule. Les rayons du soleil s'étalent sur mon pare-brise, qui a du mal à parer la brise à cause de mes fenêtres grandes ouvertes. Metallica me chante "Fuel". Et je roule, en essayant de chasser cet instant de prise de conscience, jusqu'au moment où je me dirai "mais t'es con va pas tout gâcher retourne chez toi". Ce moment ne vient pas. Alors je roule. Je prend les routes  dont je me suis toujours demandé où elles mènent. Des routes bordées de champs qui dansent doucement, changeant de couleurs face au vent qui les malmène. Des champs bordés d'arbres solitaires ou en bosquet, s'élevant pour me cacher la grisaille des villes. Des arbres entourés d'un fleuve qui coule au rythme du vent qui fait bouger les champs, qui sont bordés d'arbres entourés d'un fleuve, etc.
J'aperçois un petit chemin sur le côté, qui passe entre deux marronniers et qui conduit droit au fleuve. Je m'y engage, me gare sur le talus puis suis le chemin. Je passe près de deux vélos couchés, puis je débouche sur un barrage, à côté duquel est posée une table en pierre. En contrebas s'étend une petite plage de galets blancs, roses oranges et ronds. Le barrage sectionne la rivière, et non le fleuve, en un V vaguement délimité. D'un côté l'eau plate et lisse qui semble tranquille, et de l'autre des bouillons furieux brassant de l'eau, de l'air et un pêcheur qui s'en fout avec sa gaule. Deux gamins en caleçon marchent sur le barrage, frontière entre deux mondes, et rétablissent l'équilibre en se jetant du côté lisse, créant des remous. Le tout faiblement accompagné par un ado à la guitare, nonchalamment posé sur la table et recouvert par le bruit de la chute d'eau. Son jean est remonté sur ses genoux et ses pieds sont nus.
Je m'avance, le salue et me dirige vers l'eau. J'enlève chaussures et chaussettes puis descend à mon tour après avoir relevé mon pantalon. Putain ça  glisse. J'arrive tout de même prudemment tout au bout de la pointe du barrage, l'eau au niveau des genoux. D'ici, la masse de liquide m'englobe. Je déserre ma cravate, qui tente en vain de s'envoler. Et je reste là un moment. Les mouflets me regardent bizarrement. Puis reprennent leurs brasses. Je vais m'assoir à la table. Le type y joue une chanson que je ne connais pas. Il la finit, pose sa guitare et sors un paquet de clopes.

"T'as craqué?
-Pardon?
-Tu t'es même pas changé. Tu t'es fait virer?
-Non. J'ai un scénic diesel, deux gosses, une femme infidèle, une maison et un labrador. Mon job c'est arnaquer les gens. Prise de conscience.
-Aïe.
-Tu l'as dis.
-Banquier?
-Pire. Assurances.
-Ah pas mal. Je suis pas loin, études de commerce. Pour l'instant j'apprend quand passer de "Bonne journée" à "Bonne soirée"! Une femme infidèle tu dis? On dirait les OK Go. "Got a job, got a life, got a fourdoor, and a faithless wife"" Je ne connais pas la chanson mais j'aquiesce.
"T'es pas aveuglé dans ton bonheur à la "american way of life"?
-Je n'aime pas ma femme, je ne l'ai jamais aimée. Mes chiards lui ressemblent. Quand quelqu'un me demande une assurance vie je lui refile une assurance orage, grêle, météorite, apocalypse, huissier de justice, crevaison, boys band. Et à la fin l'assurance vie ne le couvre pas. Non, je ne suis pas heureux. Mais aveugle, oui." Il sort un sachet de cannabis, qu'il effrite puis roule en cône.
"Pourquoi tu t'es marié?
-Je ne sais plus vraiment. Trois ans de vie commune, enceinte... Pour la paperasse.
-Mais pourquoi avec (il lèche la feuille de son joint) pourquoi avec celle là?
-J'ai loupé l'autre." Je lui ressort la lettre de ma poche et lui tend. Il la parcoure par dessus son collage.
"Aïe. Combien de temps?
-Quatre ans avec elle, sept depuis cette lettre. (il allume son joint) Chaque fois que je ressors ce morceau de papier ça me replonge au moment où je l'ai trouvé sur la table de la cuisine. Tu sais, comme mater des vieilles photos. Ta vie dans un bocal de formol. Elle s'appellait Esther. C'était spécial avec elle. Des hauts et des bas. Mais même au plus bas ça n'allait pas en dessous de l'altitude moyenne à laquelle un crâne humain explose. Je te laisse imaginer les hauts.
-Et juste ça? "Je vais faire un tour pour un moment"? Pas de contacts?
-Aucun. Disparue. Je me suis rangé, ai fini mes études, ai rencontré Estelle.
-Sans déconner?
-Même pas. Le jour et la nuit, pour deux "l" en plus. J'ai plutôt l'impression qu'on me les a coupées maintenant.
-Hein?
-Ben les ailes.
-Ah, L, ailes... Tu veux fumer?
-J'ai arrêté quand elle est tombée enceinte. Avec plaisir. (Je tire une barre puis tousse.) La vache. Et toi?
-Moi? Je me perds. Je fume trop. Sûrement pour noyer le monde dans le brouillard le temps d'une expiration. J'ai déjà pas envie de le voir, je le connais par coeur, à dix-huit ans. C'est gris et moche, pleins de responsabilités mal rentabilisée et d'injustices. Je me suicide pas juste par curiosité.
-Pourquoi pas. Quand tu vois qu'à trente-deux ans j'ai fini ma vie, y'a de quoi flipper.
-Arrêtes!"

J'arrête. Les deux gamins sortent de la flotte, se rhabillent encore trempés puis se barrent sur leurs vélos sans un regard en arrière. Je fais tourner le joint. La nuit tombe entre une taffe et un morceau de guitare. Le pêcheur se taille. Mon nouveau pote ne semble pas pressé de rentrer chez lui. Il me file une Kriek sortie de sa housse. Un train passe sur l'autre rive, déchire la nuit. Je lui décapsule ma bière à la gueule. Le bruit de la chute d'eau commence vraiment à me limer les burnes lorsque SOS amitié décide de bouger. Je lui porte son sac, il garde sa gratte, et on retrouve la route.

"Putain c'est pas léger. T'as quoi là dedans?
-Ben mon  skate.

Tu veux l'essayer?


Mardi 21 juillet 2009 à 18:53

Putain qu'est ce que je fous là? Debout au milieu d'une foule de vieux et de gamins, mon parapluie dans la main malgré l'eau qui me ruisselle sur la gueule. On écoute une petite fille qui débite un discours hésitant. Elle parle de commune, fierté, je sais pas quoi. Elle termine sur un gros larsen, tout le monde sursaute exepté un dos devant moi doté d'une longue crinière brune. La première fusée jailli. Je m'avance en ouvrant mon parapluie, puis je m'arrête à côté de la fille à qui le dos appartient en m'appuyant sur la barrière. Une gerbe d'étincelles éclaire le sourire qu'elle me tend distraitement. Je le prends quand même et elle se rapproche de moi. J'imagine le tableau que ça doit donner, un couple ne se connaissant pas, côte à côte en train de mater un peu de poudre exploser un ciel sans étoiles. On reste là, sans bouger. Après tout on a rien de mieux à foutre. Chaque explosion plus forte que la précédente me fait craindre le bouquet final, mais la musique trop aigüe ne s'arrête pas. Alors on attend encore un peu, que l'explosion des impôts de nos parents cesse de nous éblouir. Sauf que là je me rend compte que j'ai obervé tout l'évenement en miroir dans ses yeux. Il me semblait bien beau pour notre petite commune ce feu. L'ombre de son nez et de ses franges imbibées de pluie se débattent lentement sur son visage. J'ai envie d'y passer ma main pour les calmer. Au moment où je lève celle qui ne tiens pas le parapluie, les ombres cessent leurs mouvement. Le silence et une obscurité en demi-teinte s'installent. Puis les lampadaires se rallument doucement. Il ne pleut plus. Elle se tourne vers moi et me sourit vraiment. J'ouvre la bouche sans trop savoir ce que je vais dire. Elle me rend service et pose son index dessus. Mon coeur loupe un battement, elle ne sourit plus. Ses yeux détaillent mon visage tandis que les miens gravent sa figure dans un coin dépoussieré de ma tête. Elle enlève lentement son doigts de mes lèvres. Son sourire revient doucement, en penchant la tête et plissant les yeux. L'image d'une héroïne de manga s'impose irrésistiblement dans mon esprit. Mais malgré son sourire je sens comme une nostalgie qui s'installe. Un regret, ou un remord je n'arrive pas à définir. Elle fait demi-tour et se perd dans la foule. Et moi je reste là. Je regarde les gens se disloquer en tentant tant bien que mal d'éclairer le ciel avec mon parapluie multicolore.

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