J'ai donc fini par lancer Guitar Hero en expert sur Dragonforce, Through the fire and flames, la chanson la plus dure. En même temps ce n'est plus une question de choix, lorsque mon public le réclame. Ici, mon public c'est une dizaines de personnes dont je ne connais pas la moitié, assises n'importe comment dans le salon d'un pote. Sachant tout de même qu'il faut encore que j'aille aider des potes dans la pièce d'à côté à la confection d'une oeuvre de maître dans cet art qu'est le roulage. Sans oublier non plus que je suis le responsable du barbecue, ce qui explique que l'on ait toujours rien graillé alors qu'il est déjà vingt-deux heures. Soirée chargée!
Mais à cet instant toute mon attention est focalisée sur les notes défilant à l'écran. Enfin peut-être pas. Il en reste bien assez pour assimiler la présence d'une fille s'installant sur un accoudoir inoccupé. Elle demande du spectacle? C'est parti!
Quatre bières, un joints de 50 centimètres et un échec cuisant à Guitar Hero plus tard, je fanfaronne en jetant des litres d'essence dans le barbecue. Tout le monde est dehors et le manque de lien entre les personnes annihile les conversations, alors toutes les attentions sont plus ou moins braquées sur le crétin qui dit des conneries très fort, c'est à dire moi.
Je manque de m'immoler en allumant le feu, balance des cacahuètes sur des potes et en jette un dans la piscine. Je me surpasse ce soir. Je vois bien que la plupart des personnes ici n'ont qu'un demi-sourire lorsque je la ramène, mais c'est plus fort que moi. Faire le con est après tout un bon moyen de laisser douter qu'on en est pas un. Et s'afficher devant quelques demoiselles est loin d'être négligeable.
Une fois la barbac carbonisée à point, je m'arrange pour m'assoir à côté de la demoiselle à l'accoudoir. Elle n'a pas l'air de connaitre beaucoup de monde, se fait discrète. Je lance la conversation avec une grande originalité, histoire de savoir ce qu'elle fait dans la vie, comment elle s'appelle. Puis elle me retourne les questions.
"En ce moment, je m'appelle Arnaud.
-En ce moment?
-Oui, d'ici une semaine ce sera sûrement Frederic. Peut-être Louis.
-Tu va me sortir que t'es agent secret c'est ça?
(Et merde...)
-Pas du tout, j'ai pas cette prétention. Je suis juste arnaqueur amateur.
-Quelles genres d'arnaques?
-Administratives. C'est tellement le bordel là-dedans que quelques virements sont inaperçus."
Mes conneries ont l'air de l'amuser, mais je dois la quitter pour raconter avec un ami la blague des balles de ping-pong multicolores. On tient l'auditoire presque une heure avec ça, la chute étant tellement débile qu'une bonne partie de notre public oublie son manque de lien pour s'allier contre nous. Ils essaient de nous jeter dans la piscine, bataille visiblement perdue d'avance pour nous, alors j'ai fais ce que je fais toujours. Quitte à tomber autant emporter le maximum de personnes avec moi. Je vois l'hôte expliquer vite fait à quelqu'un où se trouvent les serviettes avant de se jeter à l'eau lui aussi, imité par quelques autres personnes. On se fait larguer des cannettes dans la flotte pour continuer comme il se doit notre bain improvisé. Puis quelqu'un à hurlé:
"Et merde, il est minuit bande de cons!"
Ce qui devait arriver arriva, je vais donc encore user d'une éllipse pour vous éviter certaines horreurs...
Une heure plus tard, trois quart des personnes sont vêtues d'une simple serviette, priant pour que leurs vêtements sèchent vite. La demoiselle de tout à l'heure n'en fait malheureusement pas partie. Elle ne joue qu'à moitié au jeu à boire qui nous réunit autour de la table de la salle à manger, n'ayant qu'une goutte de vodka dans son jus d'orange. Mais elle participe tout de même, ce qui peut être intéressant. C'est à mon voisin de jouer, il doit trouver un "J'ai jamais", c'est à dire qu'il doit dévoiler une chose qu'il n'a jamais faite, faisant boire tout ceux qui l'ont fait.
"J'ai jamais... Embrassé une personne du même sexe que moi."
Naturellement, la tablée entière boit puis s'indigne.
"Quoi? Mais qu'est ce que t'as fait de ta vie?
-C'est un concours de circonstance, se défendit mon voisin.
-Dégueulasse ce j'ai jamais, tu devrais pas avoir le droit!
-Ben attends mec, y'a une solution pour pas qu'il puisse le refaire!"
Le mec qui a dit cette dernière phrase, un bon pote à moi, se lève et lie les bras de mon voisin dans son dos, l'empêchant de bouger, puis me fait un clin d'oeil. Le visage de la victime s'allonge d'horreur lorsqu'il comprend, il essai de se débattre mais c'est trop tard...
"Et voilà vieux, t'as eu l'honneur de faire ta première fois avec moi, t'as aimé? lui dis-je en m'essuyant la bouche.
-Donnez moi quelque chose pour rincer, vodka, alcool à bruler, javel, n'importe quoi!"
Je lui tend la Jagermeister en me marrant, puis je joue.
"J'ai déjà... été célibataire ce soir."
Ha, ma voisine de barbecue ne boit pas, ce qui veut dire qu'elle l'est aussi, c'est toujours bon à savoir!
Quelques abandons et un mort plus tard, je me lève pour aller réguler cet apport conséquent de liquide dans mon organisme. En chemin vers les chiottes je jette un oeil pour voir comment ça se passe dans les autres pièces. Au salon se déroule un poker plutôt gentil, et à la cuisine deux mecs se battent avec le four où une pizza surgelée attend sagement d'être cuite. Je les aide à allumer puis entre dans la salle de bain. L'état du déchet dans la baignoire me force à lui prendre le pouls histoire d'avoir bonne conscience. Après tout ça, je finis tout de même par pisser. Un regard sur le tas de fringues m'apprend qu'il y aura beaucoup de sièges de bagnole mouillés demain. Je vais donc emprunter un jean à notre hôte en me faisant discret pour ne pas déranger les responsables du bruit dans la chambre d'amis. En revenant, je vois la demoiselle dans le couloir, en quête d'un peu de tranquillité pour taper un sms. J'attends qu'elle referme son portable pour l'interpeller.
"Hey!
-Oh, je t'avais pas vu!
-Faut savoir être discret dans mon boulot!
-Les arnaques administratives?
-Tu te rappelle de ça? Je suis aussi documentaliste animalier à mi-temps.
-Traite-moi d'animal aussi!
-Comme nous tous, dis-je, fataliste, en rejoignant le bout de mon pouce droit au bout de mon index gauche et vice-versa, afin de créer un écran improvisé par lequel je regarde la fille. Nous observons ici une jeune humaine femelle en captivité au milieux de grands méchants loups... Si nous avons de la chance nous pourrons peut-être la voir jouer un morceau ou deux...
-De quoi tu parle?
-Viens voir!"
Elle me suit, méfiante, deux pièces plus loin, où je découvre un piano du drap qui était posé dessus.
"Qu'est ce qui te fait croire que je sais en jouer?
-J'en sais absolument rien. Mais on va faire un truc: si tu sais tu me joues un morceau, sinon c'est moi qui m'y colle!
-Parce que tu sais en jouer toi?
-Pas du tout, justement t'aura une super occas' de te foutre de moi, c'est du gagnant-gagnant!
-Si je joue tu gagnes quoi toi?
-...
-De toute façon il est nul ton pari! Je sais bien si je sais jouer ou pas moi!
-Ben comme ça tu peux truquer le jeu!
-C'est un peu compliqué ton affaire là...
-T'as raison, je vais juste m'assoir et jouer n'importe jusqu'à ce que ça te fasse tellement mal que tu me pousse pour prendre ma place, dis-je en m'installant
-Alors là c'est plus du tout gagnant-gagnant!
-Bon ok tu veux quoi?
-Que tu me dise ce que tu fais vraiment.
-Dans la vie? Je harcèle les jolies filles ça se voit pas?"
Elle me pousse du siège (non, je n'en profite pas pour respirer son odeur discrètement, pourquoi je ferais ça?) et elle plaque deux accords dissonants.
"Mauvaise réponse. Pourquoi tu te caches? Si je joue je me révèle un peu non? Alors toi aussi!
-Mais j'ai aucun moyen de me révéler moi
-Trouve, me dis-elle calmement après un regard menaçant
-Alors euh... Je ne crois en rien, je me cache derrière Carpe Diem pour m'impliquer nul part, euh... J'affiche un personnage tonitruant pour éviter de me poser des questions sur moi."
Elle me jauge d'un regard amusé, joue quelques notes... Puis me fait sursauter en écrasant une autre flopée de fausses notes.
"On peut le deviner tout de suite ça, Monsieur le martyr!"
Ouh, je n'aime pas, mais alors pas du tout la tournure des évènements. Je la dévisage bouche bée, ça la fait rire. Elle doit me prendre en pitié car elle recommence à jouer. Un morceau que je ne connais pas, peut-être une composition. Elle aurait pu me gifler, m'embrasser, voire les deux, le résultat n'aurait pas été très différent. Je me sens comme... Une allumette. Encore rougeoyante, qu'on jette dans la flotte. Et qui ne trouve à dire qu'un ridicule "pschtt". Comparaison de con, je sais, mais assez réaliste. Le dos appuyé contre le mur, je la regarde. Ses yeux qu'elle ferme parfois, ses mains qui dansent sur une piste bicolore, son visage balayé par ses cheveux. Avec un fascination quasiment obscène, mais impossible de regarder ailleurs. Elle passe par une palette impressionnante de sentiments, qu'elle vit en jouant. Elle rit même, une fois, et l'écho de ce son ne semble jamais pouvoir s'éteindre. J'ai réalisé que je n'avais aucun pouvoir sur ce qui arrivait ici, sur cette musique comme sur cette fille. J'étais conscient d'être un intrus dans cette situation, tout en étant fier d'en être à l'origine. Et tout ce que j'ai trouvé à dire lorsqu'elle eut fini, fut:
"Putain, j'suis foutu."
C'est chouette ce que tu crée en écrivant, génial même, mais tu le sais ;)
Il y a beaucoup de choses que l'on apprend en lisant,grâce aux contrastes surtout ^^
Merci pour l'article !