Sauf à ce moment là, un petit garçon qui faisait des bulles, après avoir semé sa mère. Il essayait d'observer ses bulles monter, avec sa main sur son front pour pas avoir le soleil dans les yeux. Il m'a vu et m'a fait un signe, puis m'a montré quelque chose dans le ciel. Ses bulles, quoi d'autre.
Pourquoi pas. Je tends la main, et libère une expiration de sa prison savonneuse. Un souffle d'enfant, translaté à une vingtaine de mètres du sol. En éteignant ma clope. Petit con. Je l'ai rallumée. Puis j'ai tendu l'autre bras, continuant mon boulot de libérateur de CO2. De plus en plus loin. Le vent a compris mon entreprise et décide de me faire chier un peu. Il m'aura pas l'enfoiré. J'ai levé la tête pour apercevoir d'autres bulles à ma portée.
Le vertige s'est emparé de mon estomac et l'a essoré dans tout les sens. Des colonies de termites géantes me grimpent le long des bras. Atteignent la main avec laquelle je me retenais. Le toit se dérobe. Mes ongles griffent la tôle. Puis la chute. C'est court, vingt mètres. D'abord, une envie de rire. C'est vrai, c'est trop con ! Puis l'angoisse. Pas devant l'inconnu, non. Ce que je me disais, c'était "Non, pas comme ça". Puis je me suis dit que tiens, je n'ai même pas pensé à Dieu. Ce qui fait que j'y ai pensé, vous suivez? J'étais à deux mètres du sol, et l'ironie de cette idée me fit sourire. J'attendais le bitume. Il ne vint pas. En revanche, une Mercedes me rattrapa à bras ouvert, à un mètre du sol. Mon dos s'enfonçât dans le toit, ce que ma nuque n'appréciât que très modérément étant donné qu'elle a été stoppée par les barres de toit. J'ai senti mon cou craquer, ma dernière pensée fut "Foutu skieur".
***
Je me réveille. Je panique en essayant de me souvenir de la veille. Rien. C’est quoi ce bordel, j’suis dans une série où un scénariste à cours d’inspiration ressort le coup de l’amnésie ? Des souvenirs affluent alors. Des bulles de savon. De la fumée de cigarette, et des bulles de savon. Je re-sombre.
A mon deuxième réveil je perçois ce qui m’entoure. Du moins je me rends compte que quelque chose m’entoure. Quelle surprise ! Un hôpital. Ha ha ! Et quel hôpital ! Sculptures 3D au plafond, test de Rorschach sur les murs, fenêtres en ébullition… C’est quoi leur dose de calmant ? Je m’extirpe de ma semi-inconscience, et trois idées s’imposent : comment vont l’enfant-bulle et le conducteur de la Mercedes ? Est-ce que quelqu’un me croira quand je dirais que c’était accidentel ? Et pourquoi j’arrive pas à bouger bordel ? Ça commence à m’obséder. Vous savez, la sensation quand vous êtes emprisonnés dans le sable ? On a beau bander tous ses muscles au maximum ça change rien. Ben ça c’est pire. Parce que je peux même pas bander mes muscles. Le craquement de mon cou sonne à nouveau dans ma tête. Même pas dans ma tête. Seulement dans mon cerveau.
Après un temps indéfinissable de cogitations, une infirmière arrive. Du genre matrone. Elle me dit que je suis resté inconscient pratiquement trois semaines (« deux semaines et cinq jours », ça fait un jour par mètre, ha ha) Puis elle m’explique que je suis un putain de légume. Que je ne pourrai plus jamais bouger aucun de mes putains de membres. Qu’il faudra quelqu’un pour nettoyer mon putain de cul. Ce qu’elle est venu faire d’ailleurs. C’est pas vrai ? Et elle évite de me regarder. Tant mieux salope. Salope t’entends ? Espèce de grosse Salope de Merde !! C’est une putain de blague ? MERDE ! « Je suis désolée » ajoute-t-elle devant mes yeux embués. Manquait plus que ça. Grognasse. J’ai envie d’exploser. D’imploser. De faire tout péter bordel ! Et l’impuissance, l’impuissance, mon impuissance, au dessus de tout, qui ne peut même plus m’assener d’uppercut dans l’estomac puisque je ne le sens plus.
Alors je laisse Salope me laver. Comme si j’avais le choix. L’impuissance et l’humiliation. J’essai de retomber dans l’inconscience, mais pas moyen. Aller, vit ça jusqu’au bout connard ! J'attend qu'elle me place sur le ventre pour commencer à sangloter. Je ne sens même pas mes larmes, si larmes il y a. On ne peut pas appeler ça « sangloter », le respirateur reste d'une précision métronomique, aucune sacade en forme de sanglot. Pathétique.
« Si vous avez besoin de moi... euh... » j'appuie sur le bouton connasse? Elle se barre en rougissant de honte. Cette scéance de lavage, coupée à ma perf, m'a tué. Je m'endors en un rien de temps.
Je suis réveillé par un pas que je ne connais que trop. Les voila. Les intelligents. Les rationnels. J’entends d’ici leur discours. Quelle merde. Et ils vont pas s’en priver.
« Tu sais, si t’étais aussi mal que ça il fallait le dire. On aurait pu t’aider, encore mieux qu’on a essayé de le faire. »
Ça c’est celle qui y croit. Tiens, l’autre ouvre la bouche, on va rigoler.
« C’est con, t’as loupé celle là. Maintenant tu pourra même plus réessayer. »
Vous me voyez en train de lui dire que j’ai glissé parce que j’explosai des bulles de savon ? Je veux dire, même si je pouvais parler… La question se pose pas, puisque je peux pas. Les voila qui se tournent vers le médecin.
« Vous êtes sûr qu'il est entièrement conscient? Il m'a l'air un peu... Abruti par tout ce que vous lui donnez. » C'est pas parce que tu chuchotes qu'on est pas dans la même pièce! Dis moi plutôt ce que sont devenus les deux autres!
« On ne sait pas tout à fait dans quel état de conscience il est, toujours est-il que nous sommes quasiment certain qu'il peut nous entendre.
-Très bien. Écoute, nous avons emmené le médecin qui s'occupe de ton affaire avec nous euh... Il va te dire ce qui s'est passé. » Parce que t'as pas les couilles de le faire toi-même? Putain ça sens mauvais...
« Hum, voilà. En tombant vous avez complètement enfoncé le crâne du conducteur. Sa nuque s'est brisée, net et totalement, contrairement à vous. Il est mort sur le coup. En s'affaissant sur le volant il est... Monté sur le trottoir et a renversé deux personnes. Le première est une jeune femme, elle n'a pas de séquelles physique grave. En revanche, le fils de cette dame est mort, plutôt salement, écrasée entre le poteau et la voiture qui...
-S'il vous plaît docteur, évitez ce genre de détails.
-Excusez-moi, je viens de faire le rapport de police vous savez comme ils sont... Enfin bref, vous êtes accusé de mis en danger de soi et d'autrui, mais surtout de deux homicides involontaires... »
Je n'écoute pas la suite. C'est donc ça. Je ne suis plus qu'un tétraplègique, meutrier par deux fois. Suicidaire, en plus. Dans notre beau pays, où on n'a même plus le droit de débrancher un légume. Tout un programme. Je ferme les yeux.
Lorsque je les rouvre, je suis sur ma fenêtre. J'ai du savon sur les doigts. Il a la texture du sang. Ma tête, tournée vers le peu de nuages présents, tourne à toute vitesse. Des colonies de termites géantes me grimpent le long des bras. Atteignent la main avec laquelle je me retenais. Le toit se dérobe. Mes ongles griffent la tôle. J'aperçois une Mercedes avec des barres de toit qui descend ma rue.
Foutu Skieur.